Culture
16/12/2022
Guillaume Le Goff
À ma droite, Tonton Gibs, grand gaillard sympathique, bien connu des sneakerheads et fans de streetwear français pour ses vidéos YouTube, son compte Instagram et ses livres consacrés à la sneaker et à la mode urbaine (Cultissimes Sneakers, Street Style – édition Larousse). Également récent collaborateur de StockX. Une référence dans le domaine, qui vit de sa passion en la partageant aux autres.
À ma gauche, Bbrowwnsugar, jeune fille à la bonne humeur contagieuse, que nous avons découvert sur Instagram en cherchant une passionnée de sneakers. Qui a également tout fait pour évoluer dans ce milieu et qui travaille aujourd’hui pour Kith en parallèle de ses études, tout en alimentant son compte où elle partage ses looks et paires préférées.
Ni les mêmes générations, personnalités ou parcours, mais outre la même joie de vivre, le même engouement, le même intérêt supérieur pour la sneaker. Une vie consacrée aux kicks et au style qui va avec.
Nous avons décidé de les réunir pour une interview croisée. Il nous semblait important qu’ils puissent échanger autour de cette passion commune, et se raconter à travers des questions qu’ils ont bien voulu se poser l’un à l’autre.
“Les questions de Bbrowwnsugar à Tonton Gibs :”
Quelle a été la première paire de sneakers et est-elle encore dans ta collection ?
Quand j’étais enfant, je pense que j’ai eu des paires de Converse Chuck Taylor mais, en souvenir marquant, je crois que c’était une Nike Force de 90, simple, blanche avec un Swoosh rouge que j’ai usé jusqu’à la midsole. Et ensuite une adidas Fantôme, une grosse paire de baskets avec une languette démesurée toute noire avec les bandes blanches. Je n’ai pas de souvenir particulier avec elles, juste que je kiffais avoir mes pieds dedans. J’avais l’impression d’être un cador alors que j’étais seulement un gosse de 6ème ou de 5ème au collège (rires) !
Y a-t-il eu un moment dans ta vie de passionné et de collectionneur très important et marquant pour toi ?
J’ai toujours eu des paires et kiffé les Jordan, les AF1, AM1, Pump, mais c’était surtout par rapport au style vestimentaire. Je ne me considérais pas comme un collectionneur, j’étais dans le rap, le graffiti avec mes potes, pour le plaisir. C’est plus tard que j’ai commencé à réaliser que je collectionnais en regardant les piles de boîtes grossir !
Un jour, fin 2013, j’ai décidé de monter ma chaîne YouTube et de la consacrer à la sneaker car il n’y avait pas ce format en France. Des débuts laborieux, mais c’était uniquement pour le plaisir. Jamais de ma vie je n’aurais cru que ça devienne mon métier et que j’aurais pu vivre de shoes et de sapes fraîches ! Tout ça pour dire que pour moi, c’est toute cette évolution professionnelle et les aventures qu’elle comporte qui sont les moments les plus importants de ma vie de passionné.
Avec le nombre de paires que tu possèdes aujourd’hui, as-tu encore un « graal », la paire ultime qui te manque ?
Oui (rires) ! La « Nike Mag » de Retour vers le Futur mais ce n’est pas du tout une obsession pour moi, je kiffe les shoes en général avant tout !
Que penses-tu du marché de la sneaker aujourd’hui ?
C’est devenu un phénomène très populaire, tout le monde porte des sneakers aujourd’hui ! Il y a une énorme demande, les marques rivalisent de stratégies marketing pour créer cette demande. Le marché de la revente a beaucoup changé aussi avec des plateformes comme Stockx qui sont venues modifier la donne. Les créateurs, les collabs, il y a énormément de choses à dire.
Ce que je pense à titre personnel, c’est une passion mais je n’invite personne à s’endetter ou se mettre dans des problèmes pour une paire de chaussures. Absolument personne n’a besoin d’avoir 600 paires chez soi ni même 30 paires d’ailleurs, il faut bien faire la part des choses : pour moi c’est une passion que je partage sur les réseaux !
Si tu devais garder un seul modèle parmi toute ta collection, lequel ce serait ?
La Air Jordan VI Retro Doernbecher, parce que c’est ma préférée de par son histoire et son programme de charité américain pour aider les enfants de l’hôpital de Portland en Oregon. Ce sont les enfants qui dessinent leurs propres paires. Aussi, parce qu’elle est plutôt rare, et surtout et tout simplement parce que c’est celle que je trouve la plus jolie. Même si j’aurais tendance à hésiter avec la Jordan 4 Kaws.
Question bonus : à côté des sneakers, quelles sont tes inspirations et autres passions dans la vie ?
Je suis un bon vivant ! J’aime sortir avec des amis, j’aime manger, boire de l’eau (lol), rire et dire des conneries, rencontrer des gens. Et sinon j’aime la mode en général, voir les temps changer, évoluer, des styles revenir, repartir. Et ce qui m’inspire, c’est simplement les gens et leurs parcours de réussite !
“Les questions de Tonton Gibs à Bbrowwnsugar :”
D’où vient ta passion pour les sneakers ?
Ma passion me vient indirectement de mon grand frère. Il a 8 ans de plus que moi, presque une génération de différence. Il est basketteur et a toujours aimé les sneakers et plus particulièrement les Air Jordan. Il collectionnait les Jordan 3, 4, 5, 6, 11 en grande majorité. Je voyais ses modèles rétro en différents coloris, j’avais envie d’en avoir comme lui ! J’ai eu mes premières paires de Jordan à 12 ans, une Jordan 1 Mettalic, offerte par mon père qui avait gagné au loto et qui voulait me faire plaisir. À cet âge, je suis partie à New York avec ma mère et je l’ai traîné dans toute la ville pour trouver une paire de Jordan 4 Valentine’s day. Mon désir d’acquérir davantage de paires s’agrandissait de plus en plus, et ma mère refusait de mettre autant d’argent dans des choses matérielles. Il fallait donc trouver un moyen de me les acheter moi-même. Mes premiers petits salaires m’ont permis de commencer ma collection. Après mon bac littéraire en poche et une passion grandissante, j’ai voulu continuer à travailler à côté de mes études supérieures, mais en alliant cette fois ma passion au travail. J’ai passé trois ans chez Foot Locker et ça été une très belle expérience, j’ai pu continuer à alimenter ma passion, augmenter ma collection et partager cet amour de la basket avec mes clients. Durant ma dernière année de Licence à Strasbourg, j’ai aperçu une annonce sur LinkedIn de l’ouverture de Kith Paris et j’ai postulé un peu au culot. Aujourd’hui je suis à Paris et j’y travaille en tant que Treats Lead et cheffe de projet en parallèle de mon master en marketing.
Est-ce que les réseaux sociaux et tout ce que cela implique t’ont influencé et t’influencent dans tes choix, même professionnels ?
Mon grand frère est mon premier exemple, à travers les magazines 5 Majeurs empilés dans sa chambre que je feuilletais. C’est là où mes goûts se sont construits. J’ai toujours aimé les paires rétro, très tôt, je n’ai pas vraiment suivi la « tendance ». J’ai commencé à collectionner très jeune et j’ai pu rencontrer une petite communauté autour de la sneaker. Et le fait d’échanger, de parler autour de cette passion à continuer à faire grandir cette passion. Aujourd’hui, les réseaux font partie de ma vie, j’en suis une grande consommatrice. Je partage, je publie, j’échange et je découvre ! J’observe plus les looks de manière générale, mais mes goûts ont peu changés depuis le début de ma collection. Niveau profession, j’utilise les réseaux comme un levier et une vitrine. C’est très important de savoir bien utiliser les réseaux sociaux pour communiquer. C’est dans ce sens-là que je les utilise : véhiculer ma vision d’un projet, d’une idée, d’une collaboration, où je veux aller et ce que je veux dire.
Est-ce que tu aimes les sneakers simplement pour le kiff d’avoir une
belle paire ou est-ce que tu vas plus loin dans tes choix ?
Tout dépend, il y a des paires que j’aime uniquement esthétiquement, la couleur, la matière, les détails. Il y a d’autres paires comme la majorité de mes Jordan, que j’aime et que j’ai pour l’histoire, pour le fait qu’elles soient devenues des moments d’histoire, un peu comme un morceau du temps. J’ai beaucoup de paires qui sont sorties quand j’avais 5,6 ans, mais justement, c’est ça qui me fait kiffer !! J’aime chercher des anciennes paires sur les sites de seconde main, donner une deuxième vie aux paires un peu délaissées. Je ne suis pas à la recherche de la dernière paire tendance ou de la dernière collaboration. Je ne dis pas que ça ne peut pas me plaire mais je prends moins de plaisir que de trouver une Jordan 4 Sand de 2004 que je pourrais jamais porter mais qui fera partie de ma collection !
Pour toi, quelle marque vois-tu évoluer en ce moment et pourquoi ?
Je collectionne aussi quelques paires de running, chez Nike majoritairement avec les Flyknit, Racer, Trainer, Chukka et adidas avec les Ultra Boost 1.0. Ma mère, elle, adore Hoka parce qu’elle fait beaucoup de randonnée. Elle est tombée sur cette marque sur Leboncoin, elle a testé et elle est devenue fan. Un an plus tard, je retrouve cette marque de chaussure de running chez Kith, ma nouvelle maison. Tout le monde s’arrache Hoka, à Paris. C’est LA nouvelle paire de running confortable et tendance. Je trouve le travail fait dessus assez impressionnant. C’est une marque partie sur une idée : faire que le client soit bien, et c’est le cas ! Aujourd’hui, je compare les premiers modèles que ma mère a eu avec ceux que mes collègues vendent, c’est la même chaussure mais en mieux. On retrouve des jeux de matières et de couleurs beaucoup plus travaillés, tendance, originaux tout en gardant ce confort quasi-unique ! Je n’ai pas passé encore le cap de m’en procurer une, mais qui sait, peut-être bientôt ?
Qu’est-ce que tu penses des collaborations entre les maisons de luxe et des marques plus sportswear ?
Je vois l’évolution de la mode à travers les réseaux sociaux, dans la rue, à mon travail. Ce qui me parait le plus fou, c’est la rapidité à laquelle les marques sportswear se sont développées et sont devenues le moyen par lequel les marques de luxes se sont démocratisées. Aujourd’hui, tout le monde porte du luxe, peu importe son origine sociale, sa classe ou son environnement. Concernant la collaboration en elle-même, je suis partagée. Je trouve que certaines collaborations entre luxe et sportswear sont assez basiques. Il n’y a pas vraiment de travail des deux marques pour repenser un modèle ou imaginer une nouvelle silhouette, ce sont juste deux logos collés sur une pièce textile ou chaussure s’accompagnant d’un prix démesuré. Il y a d’autres collaborations que j’apprécie davantage, comme les collaborations entre Nike et Comme des Garçons : les paires sont toujours innovantes, elles offrent un nouveau design et on reconnaît la touche des deux marques selon moi.
Ta paire préférée dans ta collection, et ta paire préférée de tous les temps ?
Je pense que même pour toi, cette question est très très difficile. C’est complexe de faire un seul choix. J’ai un rapport très personnel avec la Jordan 1 High de manière générale, ça a été ma toute première paire de sneakers et c’est celle que j’ai le plus en coloris différents. Je suis assez fière d’avoir pu trouver des coloris OG, qui sont très compliquées à avoir aujourd’hui mais je ne peux pas en choisir une seule. Je suis très fière aussi d’avoir dans ma collection la Air Max One Paris Bespoke, limitée à 75 exemplaires dans le monde et réalisée par Cam XV qui apparaît aussi dans ce magazine. C’est la paire la plus rare que je possède.
Et sinon, dans mes rêves les plus fous, je rêverai d’avoir une Jordan 1 Spike Lee ou une Jordan 1 Chicago de 1985 !
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